Jacques Carbonnel fils du régisseur du domaine de Canet nous avait raconté cette journée qui pendant la guerre l’avait particulièrement ému.
Les chevaux étaient encore utilisés pendant la guerre de 40, non pour tirer les canons comme en 1914, mais pour effectuer les transports de marchandises. Ils étaient attelés à des carrioles à quatre roues d'un mètre environ de diamètre, plus large en haut qu'au départ du plancher, que l'on peut voir encore dans certains pays comme la Roumanie. Certaines avaient un timon central pour atteler deux chevaux de front, d'autres des brancards pour un seul cheval. On pouvait en voir à Carcassonne chargées de bois, de charbon, de pierres, de paille ou de caisses, mais il n'y en avait pas à Rustiques.
En 1943, je ne me rappelle pas la date exacte, le maire de Rustiques nous annonça que
nous devions présenter un cheval, plutôt beau, jeune, hongre et en bonne santé à la réquisition , à Carcassonne.
Mon père désigna Bijou, un percheron gris pommelé magnifique. Il avait cinq ou six ans, était en pleine forme, vaillant, obéissant et doux.
Ce jour là je suivis mon père et le fils du ramonet qui menait Bijou ». Devant le cinéma Odéon, assis à une table, quatre ou cinq officiers allemands, dont l'un devait être vétérinaire regardaient d'abord les dents des chevaux pour en connaître l'âge, se faisaient présenter les animaux qui arrivaient de tous les villages des environs.
D'abord à l'arrêt, de face et de profil, ils notaient l'allure générale, les aplombs, l'ensellure, le port de tête, le regard, le jeu des oreilles… Ensuite aux deux allures, au pas et au trot. Un maréchal-ferrant regardait les pieds et , après s'être concertés rapidement, ils désignait l'endroit où les chevaux réquisitionnés étaient parqués ou bien, d'un geste blasé, ils le renvoyaient à son propriétaire qui le récupérait avec un grand sourire.
Bien entendu Bijou fut accepté et même flatté d'une main amicale avant de devenir cheval d'armée, cheval de guerre.
Nous étions émus et j'avais les yeux humides.
Quelques semaines après le maire désigna encore Canet pour fournir un autre cheval à la réquisition allemande.
Mais ce coup-ci mon père envoya Favori, un breton postier, bai brun foncé, de belle allure, vif, têtu mais qui avait 25 ans et était poussif.
Il ne fut pas réquisitionné. Les allemands étaient sûrement « des hommes de cheval »
Lorsque les chevaux étaient pris, comme à Canet, dans une écurie où il y avait sept chevaux, la douleur de la perte d'un animal était moins forte que celle qui étreignait le petit propriétaire à qui l'on venait de voler son cheval. C'est ce qui arriva à mon grand-père.
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