LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ
Depuis six mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.
Les conseils du ciel immense
Du lys pur, du nid doré,
N’ôtent aucune démence
Du cœur de l’homme effaré. …
La gloire, sous ses chimères
Et sous ses chars triomphants,
Met toutes les pauvres mères
Et tous les petits enfants.
Notre bonheur est farouche ;
C’est de dire : allons ! mourons !
Et c’est d’avoir à la bouche
La salive des clairons.
L’acier luit, les bivouacs fument ;
Pâles nous nous déchaînons ;
Les sombres âmes s’allument
Aux lumières des canons
Et cela pour des altesses
Qui, vous à peine enterrés,
Se feront des politesses
Pendant que vous pourrirez. ...
Aucun peuple ne tolère
Qu’un autre vive à coté ;
Et l’on souffle la colère
Dans notre imbécillité.
C’est un russe ! Égorge, assomme.
Un croate ! Feu roulant.
C’est juste. Pourquoi cet homme
Avait-il un habit blanc ?
Celui-ci, je le supprime
Et m’en vais le cœur serein
Puisqu’il a commis le crime
De naître à droite du Rhin. ...
On pourrait boire aux fontaines
Prier dans l’ombre à genoux,
Aimer, songer sous les chênes ;
Tuer son frère est plus doux.
On se hache, on se harponne,
On court par monts et par vaux ;
L’épouvante se cramponne
Du poing au crin des chevaux.
Et l’aube est là sur la plaine !
Oh ! J’admire, en vérité,
qu’on puisse avoir de la haine
Quand l’alouette a chanté.
Victor Hugo
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